10.1.15

Pourquoi je n’irai pas au rassemblement du 11 janvier 2015

Plusieurs réflexions trottinent dans ma tête depuis mercredi dernier, il faut garder le calme parce qu’on nous traîne, forcement et facilement, dans une émotion insupportable, douloureuse, faite d’incrédulité, d’horreur, de compassion. Je pleure des hommes et des femmes libres dans un monde, y compris le leur, le nôtre, qui ne l’est pas. Je pleure des hommes et des femmes de foi (laïque, civile) tués par un groupuscule d’infidèles.

Deuil. C’est une affaire privée, sérieuse et de longue haleine. Il est insupportable de continuer de voir comme l’intimité, la pudeur doivent être affichées, au risque - prétendu - de ne pas être authentiques, profondes. Il parait que le privé doit parfois, dans nos sociétés d'images, se faire public et politique. Cette théâtralité est l'illusion ultime d'une part de prouver que l'on est, malgré tout, humain et d'autre part de compter quelque chose dans le débat politique.

Je ne conteste nullement, que ce soit clair, les bons sentiments de la plupart de nous et non plus la sincère foi républicaine. La place publique est devenue un lieu de non sens : on croit prendre la parole, on assiste à des assassinats, Charlie Hebdo était une place publique, elle a été ravagée ; bien avant, nous avons vu des jeunes, des poubelles et des voitures en feu, tout passe sous l’œil impitoyable des caméras et d’une presse affamée. Puis, on se jette dans cette même place pour faire un deuil collectif : notre action citoyenne, tout comme notre conscience, sont blanchies.

Ce serait la moindre chose, si ce n’était que cela. En sortant petit à petit, et à fatigue, de l’émotion, je vois des troupeaux de brebis qui inondent les rues, les places, les ruelles, les chaînes de solidarité se multipliant dans l’autre monde, le virtuel. Voilà une armée de paix, nombreuse, solidaire, fidèle... qui se fait l’outil de la prochaine guerre.

La place est devenue le nouveau front, lieu de partage, d’émotion et de mort. C’est l’infanterie qui arpente les tranchées, chaque fantassin faisant nombre à la table des négociations, qui est toujours ailleurs, inaccessible, inéligible.

Némésis. J'ai grandi dans l'idée que le politique était dans la place publique, lieu de rassemblement. Mais une place de rassemblement politique doit, pour avoir du sens, être déstabilisante. Rien de tout cela dans ces places qui se remplissent pour un rite collectif, à l’instar d’un rite religieux (la religion laïque et républicaine). Là encore : pendant un rite doit se passer quelque chose d'audace et de provocateur.
C'est fantastique de constater que d'un rite, en revanche, on ne garde que le silence, mot que tout récemment est accompagné de l’adjectif  "assourdissant", un oxymoron qui est la preuve de toute notre impuissance.

Terrorisme. Les criminels qui tuent n’ont pas d’étiquette, leur en fournir une ce n’est que jouer leur jeu et celui de leurs mandants. La question du langage n’est pas anodine. Le langage forme des idées tout comme les idées créent un langage. Il faut donc bien savoir et savoir dire ce que nous voulons à nos représentants politiques. La confusion est grande et les représailles pourraient frapper la fausse cible. C’est du déjà vu.


Je ne participerai donc pas à la marche. Mon deuil est privé et ne durera pas un jour.